mardi 24 novembre 2015

Lecture: Amours

Nota: cet article avait été commencé juste avant les attentats du 13 novembre, et mis en stand-by parce que je n'avais pas le coeur à reprendre l'écriture. Du coup il sera certainement un peu décousu, je m'en excuse, mais c'est important pour moi d'aller au bout, parce que la vie ne doit pas s'arrêter à cause de ceux qui veulent nous priver de nos libertés.


On dit toujours jamais 2 sans 3, et je n'ai pas voulu faire mentir ce dicton pour la découverte des romans de Leonor de Récondo.
J'avais beaucoup aimé "Rêves Oubliés", un peu moins "Pietra Viva", je ne savais donc pas à quoi m'attendre avec ce roman.

Résumé: "L'amour est là où il ne devrait pas être, au deuxième étage de cette maison cossue, protégé par la pierre de tuffeau et ses ardoises trop bien alignées, protégé par cette pensée bourgeoise qui jusque-là les contraignaient et qui, maintenant, leur offre un écrin." Nous sommes en 1908. Léonor de Récondo choisit le huis clos d'une maison pour écrire un éblouissant roman sur l'épanouissement du sentiment amoureux le plus pur - et le plus inattendu. Victoire est mariée depuis cinq ans avec Anselme de Boisvaillant. Rien ne destinait cette jeune fille de son temps, précipitée dans un mariage arrangé avec un riche notaire et que les choses du sexe plongent dans l'effarement, à prendre en mains sa destinée. Surtout pas son trouble face à l'inévitable question de l'enfant qui ne vient pas. Sa détermination se montre pourtant sans faille lorsque la petite bonne de dix-sept ans, Céleste, tombe enceinte : cet enfant sera celui du couple, l'héritier Boisvaillant tant attendu. Comme elle l'a déjà fait dans le passé, la maison aux murs épais s'apprête à enfouir le secret de famille. Mais Victoire ne sait comment s'y prendre avec le nourrisson. Personne n'a le droit d'y toucher et Anselme est prié de s'installer sur un lit de camp dans son étude. Le petit Adrien dépérit dans le couffin glissé sous le piano dont sa mère, qui a bien du mal à s'inventer dans ce rôle, martèle inlassablement les touches. Céleste comprend ce qui se joue là, et décide de porter secours à l'enfant à qui elle a donné le jour. Quand une nuit Victoire s'éveille seule, ses pas la conduisent vers la chambre du deuxième étage... 

Il y a beaucoup de sujets dans ce roman: le couple, la maternité, l'amour, le tout sur fond de conventions sociales. Victoire est une jeune femme mariée sans amour, dans le cadre d'un mariage arrangé (basé sur une petite annonce...), comme beaucoup à cette époque. Elle ne sait rien des choses du sexe, là encore, comme beaucoup de jeunes femmes de son milieu au début du XXème siècle, et vit très mal les assauts de son mari. Le terme "devoir conjugal" prend ici tout son sens, ce qui va précipiter son mari dans le lit de la bonne, quand sa femme ne lui ouvre pas son lit.
Et bien sûr, le hasard faisant mal les choses, l'enfant attendu par la famille n'arrive pas chez l'épouse légitime mais chez la bonne!

Et c'est là que le roman bascule, comme la vie de Victoire: cette jeune femme effacée va prendre son destin en main, profiter de la situation pour obtenir ce que la vie lui refuse, et gagner même plus que ce qu'elle espérait.
A travers cette maternité par procuration, Léonor de Récondo nous parle de la maternité et du rapport à l'enfant. Céleste est la mère biologique d'Adrien, mais dès le départ elle sait qu'elle ne peut pas le garder, qu'elle ne peut pas l'aimer. Elle ne s'autorise pas à accepter sa grossesse, jusqu'à ce que le marché soit conclu avec Victoire et Anselme. Marché qui n'est d'ailleurs conclu que par la force du destin, car il est trop tard pour interrompre la grossesse, solution initialement envisagée, et dont on découvre d'ailleurs qu'elle est monnaie courante chez les domestiques de la famille. L'enfant lui est enlevé dès la naissance, mais son instinct maternel se réveille quand elle constate que son bébé se laisse mourir, qu'il a besoin d'elle, de son amour. Cette notion d'instinct maternel, ça m'a longtemps perturbée, parce que je pensais que c'était justement instinctif, et que ça déboulait à la naissance des enfants, et que pour moi, ça ne s'est pas passé comme ça. Peut-être parce qu'avec la césarienne, je n'ai pas senti le passage des enfants de moi vers le monde extérieur, me faisant presque douter que ce soient les miens, peut-être parce que j'étais épuisée, perdue, déboussolée par les hormones, la fatigue, les doutes....Du coup, je n'ai pas vraiment ressenti au départ cet instinct maternel, cet amour incommensurable pour eux (et pourtant, de l'amour, j'en ai ressenti). Et puis il y a eu la première maladie de mon fils, à 3 semaines, et ce choc, cette douleur, celle de ne pas pouvoir le protéger alors que je donnerai tout pour leur éviter le  moindre problème, cet instinct de louve qui s'éveille dès qu'on touche à mes enfants, cette peur de les voir souffrir, cette souffrance de ne pouvoir les protéger de tout... C'est un peu ça que j'ai retrouvé avec Céleste, qui se découvre mère devant la souffrance de son enfant.
En parallèle, on a Victoire, qui retourne la situation à son avantage, mais qui finalement n'y était pas prête: elle ne peut avoir d'enfants, son mari en a fait à la bonne, autant en profiter pour satisfaire les conventions sociales, mais elle ne sait pas comment aimer cet enfant que le hasard lui apporte. Elle est perdue, se réfugie dans la musique, pensant offrir à son fils ce dont il a besoin, mais ne lui offrant pas l'amour qui lui permet de vivre. Et cet amour, elle va apprendre à le donner quand elle va être aimée, car finalement comment donner ce qu'on ne connaît pas?

L'amour, c'est Céleste qui l'apporte dans cette histoire: amour maternel, amour charnel, mais aussi amour absolu. Céleste va offrir l'amour à Victoire, ouvrir les portes de son coeur pour accueillir son fils, et par amour elle fera le plus grand sacrifice, pour laisser un avenir à son fils, mais aussi à Victoire.
Je l'ai trouvé émouvante cette jeune fille qui ne connaît rien à la vie, mais qui a l'intelligence du coeur.

Enfin, on a le poids de la société, les conventions sociales, celles qui pèsent sur la vie quotidienne, briment les élans du coeur, et génèrent des secrets de famille qui pèsent de génération en génération, laissant les gens enfermés dans des histoires sans joie et sans amour, "parce que ça se fait".

Si je n'ai pas autant aimé ce roman que "Rêves oubliés", il m'a plus parlé que "Pietra Viva", car il a fait vibrer des cordes sensibles chez moi, et qu'encore une fois la belle écriture de Leonor de Recondo sert admirablement son récit tout en finesse.

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