mardi 10 avril 2018

Lecture: Une longue impatience


Recommandé par Galéa et par Séverine, qui en plus m'a gentiment prêté son exemplaire (dédicacé, je suis honorée de sa confiance), ce roman n'est pas resté longtemps dans ma PAL.

Résumé: "C'est l'histoire d'un fils qui part et d'une mère qui attend. C'est un amour maternel infini, aux portes de la folie. C'est l'attente du retour, d'un partage, et le rêve d'une fête insensée. C'est un couple qui se blesse et qui s'aime. C'est en Bretagne, entre la Seconde Guerre mondiale et les années soixante, et ce pourrait être ailleurs, partout où des femmes attendent ceux qui partent, partout où des mères s'inquiètent." 
Une femme perd son mari, pêcheur en mer, elle se remarie avec le pharmacien du village. Son fils, issu de sa première union, a du mal à s'intégrer dans cette nouvelle famille et finit par lui aussi prendre la mer. Commence alors pour la narratrice une longue attente qu'elle tentera, tant bien que mal, de combler par l'imagination du grand banquet qu'elle préparera pour son fils à son retour.

Ce roman est intemporel et universel. Anne est une femme et une mère de marins, son attente est celle de toutes ces femmes qui ont vu partir leurs hommes sur la mer, sa peur celle de toutes celles qui ont prié pour que la mer les leur rende sains et saufs. Peu importe l'époque, peu importe le rivage, elles sont toutes différentes et pourtant toutes semblables, dépendantes d'une mer nourricière qui peut tout leur prendre en un instant.
Mais plus largement, Anne incarne toutes les angoisses des mères du monde, celles qui voient partir leurs enfants, qui espèrent leur retour, ou au moins des nouvelles, celles de les savoir en bonne santé, heureux..... Dans son attente, Anne revient sur ses choix, et sur leurs conséquences sur son fils. Et le constat est sans appel: malgré tous ses efforts, et même si elle a toujours pensé à lui dans ses choix, et tenté de faire le mieux pour lui comme pour les autres, elle n'a pas réussi à ce qu'il trouve sa place dans ce nouveau foyer. Nous voudrions toutes ne jamais avoir à regretter les choix et décisions que nous prenons pour nos enfants, nos actes, nos paroles, mais si nous pouvions revenir en arrière, combien de fois agirions nous différemment? Anne est comme toutes les mères, animée des meilleures intentions, mais cela ne suffit pas toujours.

Les enfants ont leurs désirs propres, et le plus dur est certainement de trouver un équilibre entre ce que l'on pense bien pour eux, et ce qu'ils veulent. Ce roman nous montre la rupture de la confiance et du lien entre une mère et son fils, et c'est ce qui est le plus douloureux pour Anne. Comment passer d'une relation très étroite comme elle l'avait avec son fils après son veuvage, à un silence qui l'étouffe dans ses regrets?
 Louis a fui une maison dans laquelle il ne se sentait plus le bienvenu, la violence d'Etienne est l'élément déclencheur, ce qui va le conduire à ne plus donner de nouvelles. Et c'est ça qui est triste dans cette histoire: le départ de Louis était inéluctable, dès l'enfance il a prévenu sa mère qu'il partirait voir les baleines. Comme bien des hommes, Louis ne résistera pas à l'appel de la mer, qui l'invite à découvrir d'autres horizons. Mais ce départ est une rupture, un déchirement qui ne sera jamais réparé.

Cette rupture avec son fils, ce déchirement va générer chez Anne un déchirement intérieur, elle va devenir double: d'une part l'épouse et la mère, qui fait bonne figure, qui s'occupe de ses autres enfants, de son mari, et de l'autre la mère inquiète qui attend son enfant, qui l'espère sans savoir si un jour elle le reverra. Mais qui pourrait supporter cette attente, ce silence, sans en souffrir? Anne va s'user à espérer, s'éteindre sans se plaindre, en tentant de maintenir la flamme de l'espoir.

Ce roman est magnifique, tout en délicatesse, on accompagne Anne jusqu'au bout dans sa souffrance, en espérant avec elle, en revivant avec elle ce qui a conduit à cette attente si bouleversante. Une très belle lecture!

dimanche 8 avril 2018

Lecture: Un clafoutis aux tomates cerises


Résumé: Au soir de sa vie, Jeanne, quatre-vingt-dix ans, décode d'écrire son journal intime. Sur une année, du premier jour du printemps au dernier jour de l'hiver, d'évènements minuscules en réflexions désopilantes, elle consigne ses humeurs, ses souvenirs, sa petite vie de Parisienne exilée depuis plus de soixante ans dans l'Allier, dans sa maison posée au milieu des prés, des bois et des vaches. La liberté de vie et de ton est l'un des privilèges du très grand âge, aussi Jeanne fait-elle ce qu'elle veut - et ce qu'elle peut: regarder pousser ses fleurs, boire du vin blanc avec ses amies, s'amuser des mésaventures de Fernand et Marcelle, le couple haut en couleurs de la ferme d'à côté, accueillir - pas trop souvent - ses petits-enfants, remplir son congélateur de petits choux au fromage, déplier un transat pour se perdre dans les étoiles en espérant les voir toujours à la saison prochaine.....

Ce livre était dans ma PAL depuis quelques temps, l'avis de Bianca m'a poussé à l'en sortir, et je ne l'ai pas regretté!

Jeanne est une personne âgée comme on voudrait tous le devenir: elle a toute sa tête, même si elle craint d'avoir Alzheimer, elle est plutôt en forme, continue de conduire, de voir ses amies, de recevoir toute sa famille, et ce à 90 ans!

C'est une véritable chance, il faut le reconnaître, de vieillir comme ça. Parce que malheureusement j'ai bien des exemples autour de moi de personnes d'un certain âge qui sont malades, qui perdent la mémoire et la tête, qui perdent leur autonomie et leur indépendance. C'est triste et c'est dur, pour eux comme pour leur entourage: pour eux d'abord, quand ils déclinent physiquement en gardant toute leur tête, car il leur faut accepter de devenir dépendants, de devoir demander et accepter de l'aide, de devenir un "poids" pour ceux qui les entourent, car c'est souvent ainsi qu'ils se voient. Pour leur entourage aussi, parce que les enfants deviennent d'une certaine façon les parents de leurs parents, les rôles s'inversent, et que ce n'est pas toujours simple à gérer. Le pire étant de voir ses proches perdre la mémoire, perdre le lien avec leur entourage, devenir étrangers à leur vie. Ce qui rend parfois notre futur un peu angoissant. Combien de fois ma mère m'a dit; "j'espère qu'on ne pèsera pas sur vous comme ça". Car nos parents n'ont pas vécu ça avec leurs grands-parents, souvent partis plus tôt, et se retrouvent confrontés à une situation qu'ils n'imaginaient pas forcément, avoir à s'occuper de leurs parents. Et même si ils font ça de bon cœur, ce n'est pas toujours facile, ça n'a pas toujours été anticipé. Ma génération va pouvoir anticiper, mais cela ne rendra pas plus facile pour autant de supporter le déclin des proches.

Alors ce roman, c'est une petite pincée d'espoir, qui donne malgré tout envie de vieillir. Car Jeanne est délicieuse, une grand-mère comme on en voudrait tous. Elle est attendrissante quand elle prépare ses petits choux au fromage en avance, quand elle se heurte au progrès qu'elle ne comprend pas, mais n'ose pas le signifier pour ne pas embêter (et se faire embêter). Cette année durant laquelle on la suit nous permet de l'accompagner dans cette vieillesse qui la prive au fur et à mesure de ses amies, mais aussi petit peu par petit peu de tout ce qui a fait sa vie, conduire sa voiture, aller faire ses courses, voyager, tout devient progressivement plus compliqué, sans heurts mais inexorablement. Mais c'est aussi l'occasion de revenir avec elle sur les bons et les mauvais moments de sa vie passée (j'ai adoré les anecdotes sur sa belle-mère), de partager ses petits instants de bonheur, sa vie au quotidien, ses petits verres entre amies et ses apéros relevés, les débarquements impromptus de la voisine, le choix des fleurs et les passages au potager....

Des pages toutes en délicatesse, que j'ai dévoré avec grand plaisir, à consommer sans modération!