dimanche 19 avril 2015

Lecture: Le dernier gardien d'Ellis Island


Encore une superbe lecture trouvée grâce aux pépites de Galéa, conseillée par Asphodèle.

Résumé: New York, 3 novembre 1954. Dans cinq jours, le centre d'Ellis Island, passage obligé depuis 1892 pour les immigrants venus d'Europe, va fermer. John Mitchell, son directeur, officier du Bureau fédéral de l'immigration, resté seul dans ce lieu déserté, remonte le cours de sa vie en écrivant dans un journal les souvenirs qui le hantent : Liz, l'épouse aimée, et Nella, l'immigrante sarde porteuse d'un étrange passé.
Un moment de vérité où il fait l'expérience de ses défaillances et se sent coupable à la suite d'événements tragiques. Même s'il sait que l'homme n'est pas maître de son destin, il tente d'en saisir le sens jusqu'au vertige.
A travers ce récit résonne une histoire d'exil, de transgression, de passion amoureuse d'un homme face à ses choix les plus terribles.

Ce livre, c'est à la fois le destin d'un homme, le destin d'un lieu, et le destin de milliers d'immigrants qui foulèrent le sol de cette île.

Un homme d'abord, John Mitchell, parti de rien, et devenu directeur du centre: "J'y suis parti pour un poste assez imprécis, l'essentiel étant d'être sur place, d'y dormi et d'obéir aux ordres. Je savais lire, écrire, compter; j'étais plutôt débrouillard et ne rechignais pas à la tâche". De cet homme,  on ne connaît que quelques bribes d'enfance, fils unique, venu de Brooklyn, il ne nous livre que peu d'informations sur la première partie de sa vie. Il y a ensuite la rencontre avec Liz, la femme de sa vie, la soeur de son meilleur ami, celle qu'il va perdre à cause même de l'île où il l'a emmenée, victime d'une épidémie de typhus arrivée par la mer. Cette perte le conduit à se renfermer sur lui-même, jusqu'à la rencontre avec Nella, cette Italienne étrange qui ouvre à nouveau les portes de son coeur et de son corps. Mais cette rencontre, qui ramène John Mitchell vers les autres, le conduit aussi aux limites de la légalité, aux limites de ce qui est bien, et le hantera jusqu'à la fin de ses jours.

Un lieu ensuite, Ellis Island, la "Porte d'Or", cette île qui fut tour à tour passage obligé des immigrants à la recherche de la terre promise, terrain militaire, prison, pour terminer vide, lieu de souvenir du passage de tous ces hommes venus chercher un avenir meilleur. On découvre les lieux qui ont accueillis tous ces migrants, "le lieu du miracle, broyeur et régénérateur à la fois, qui transformait le paysan irlandais, le berger calabrais, l'ouvrier allemand, le rabbin polonais ou l'employé hongrois en citoyen américain après l'avoir dépouillé de sa nationalité". A travers le parcours de ces hommes et de ces femmes, on passe dans les couloirs, on monte les escaliers, on découvre les dortoirs, la cantine,l'infirmerie, tout ce qui constituait ce lieu de passage.
En plus des lieux, il y a le personnel, le traducteur, homme indispensable tant pour l'administration que pour les arrivants, le cuisinier, celui qui offre aux voyageurs des repas plus appétissant que ceux qu'ils ont connu, et pourtant si peu tentants: "... des morceaux indéterminés dans des sauces brunes réchauffées pendant des heures, qui se figent dans l'assiette en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.En comparaison des gamelles douteuses et des portions maigrelettes servies sur le bateau, je comprends que pour les arrivants, une telle nourriture, abondante et chaude, pouvait s'apparenter à quelque manne céleste." Et puis cet homme, Sherman, chef des employés civils du centre, celui qui réalisait des photos des immigrants, pénétrant dans leur intimité, mais créant ainsi la mémoire de ces lieux et de ces hommes.

Enfin il y a ces immigrants, ceux qui laissent tout derrière eux, y compris leur langue et leur nationalité, pour rejoindre cette terre d'espoir. J'ai été émue et emportée par les descriptions faites des arrivées, du tri effectué sur critères de santé ou critères de conviction. Tri clinique, qui ne laissait aucune chance à ceux qui étaient rejetés, voyant se fermer devant eux l'avenir, eux qui avaient tout abandonné en partant. A travers les histoires de Nella et de son frère, de Giòrgy Kovàcs et de sa femme Esther, de Francesco Lazzarini, on découvre le départ, la douleur de la séparation, l'attente de la décision des autorités pour devenir enfin américain, le rejet, brutal renvoi à la mer de ceux qui n'ont plus rien: "J'ai frappé à la Porte d'Or et elle ne s'est pas ouverte. Représentais-je une si lourde menace pour la grande Amérique?".

A Ellis Island, le temps se fige, en attendant qu'enfin, la porte s'ouvre: "A Ellis Island, le temps n'existe plus, l'attente en est la seule mesure. Vous qui entrez ici, sachez que toutes montres et horloges y ont été fracassées, vous resterez ici quelques heures ou de longues semaines, mais vous l'ignorez, vous ne découvrirez la durée de votre passage qu'heure après heure et jour après jour."

Tout est si réel dans ce roman, parce qu'en plus de décrire ce qui fût la porte d'entrée de l'Amérique pendant des années, Gaëlle Josse nous le rend réel à travers des personnages de chair et de sang, avec leurs souffrances, leurs erreurs, leurs joies et leurs choix, tout ce qui fait qu'on se laisse emporter dans l'histoire comme si on y était!

Encore une véritable pépite, qui nous met face aux choix des hommes sur un fond historique magnifiquement rendu, un très bon moment de lecture!

1 commentaire:

  1. Tu sais que je n'ose pas le lire parce qu'elle est dans mes amies FB et que du coup, si je n'aime pas, je vais me retrouver coincée....je sais c'est stupide. Val n'avait pas trop aimé alors j'avais laissé tomber, mais Aifelle et Aspho, et toi maintenant, m'avez convaincue, je crois que je vais m'y remettre.
    Il est très beau ton billet, c'est joli comment tu présentes les personnages...

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