dimanche 19 avril 2015

Lecture: Le dernier gardien d'Ellis Island


Encore une superbe lecture trouvée grâce aux pépites de Galéa, conseillée par Asphodèle.

Résumé: New York, 3 novembre 1954. Dans cinq jours, le centre d'Ellis Island, passage obligé depuis 1892 pour les immigrants venus d'Europe, va fermer. John Mitchell, son directeur, officier du Bureau fédéral de l'immigration, resté seul dans ce lieu déserté, remonte le cours de sa vie en écrivant dans un journal les souvenirs qui le hantent : Liz, l'épouse aimée, et Nella, l'immigrante sarde porteuse d'un étrange passé.
Un moment de vérité où il fait l'expérience de ses défaillances et se sent coupable à la suite d'événements tragiques. Même s'il sait que l'homme n'est pas maître de son destin, il tente d'en saisir le sens jusqu'au vertige.
A travers ce récit résonne une histoire d'exil, de transgression, de passion amoureuse d'un homme face à ses choix les plus terribles.

Ce livre, c'est à la fois le destin d'un homme, le destin d'un lieu, et le destin de milliers d'immigrants qui foulèrent le sol de cette île.

Un homme d'abord, John Mitchell, parti de rien, et devenu directeur du centre: "J'y suis parti pour un poste assez imprécis, l'essentiel étant d'être sur place, d'y dormi et d'obéir aux ordres. Je savais lire, écrire, compter; j'étais plutôt débrouillard et ne rechignais pas à la tâche". De cet homme,  on ne connaît que quelques bribes d'enfance, fils unique, venu de Brooklyn, il ne nous livre que peu d'informations sur la première partie de sa vie. Il y a ensuite la rencontre avec Liz, la femme de sa vie, la soeur de son meilleur ami, celle qu'il va perdre à cause même de l'île où il l'a emmenée, victime d'une épidémie de typhus arrivée par la mer. Cette perte le conduit à se renfermer sur lui-même, jusqu'à la rencontre avec Nella, cette Italienne étrange qui ouvre à nouveau les portes de son coeur et de son corps. Mais cette rencontre, qui ramène John Mitchell vers les autres, le conduit aussi aux limites de la légalité, aux limites de ce qui est bien, et le hantera jusqu'à la fin de ses jours.

Un lieu ensuite, Ellis Island, la "Porte d'Or", cette île qui fut tour à tour passage obligé des immigrants à la recherche de la terre promise, terrain militaire, prison, pour terminer vide, lieu de souvenir du passage de tous ces hommes venus chercher un avenir meilleur. On découvre les lieux qui ont accueillis tous ces migrants, "le lieu du miracle, broyeur et régénérateur à la fois, qui transformait le paysan irlandais, le berger calabrais, l'ouvrier allemand, le rabbin polonais ou l'employé hongrois en citoyen américain après l'avoir dépouillé de sa nationalité". A travers le parcours de ces hommes et de ces femmes, on passe dans les couloirs, on monte les escaliers, on découvre les dortoirs, la cantine,l'infirmerie, tout ce qui constituait ce lieu de passage.
En plus des lieux, il y a le personnel, le traducteur, homme indispensable tant pour l'administration que pour les arrivants, le cuisinier, celui qui offre aux voyageurs des repas plus appétissant que ceux qu'ils ont connu, et pourtant si peu tentants: "... des morceaux indéterminés dans des sauces brunes réchauffées pendant des heures, qui se figent dans l'assiette en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.En comparaison des gamelles douteuses et des portions maigrelettes servies sur le bateau, je comprends que pour les arrivants, une telle nourriture, abondante et chaude, pouvait s'apparenter à quelque manne céleste." Et puis cet homme, Sherman, chef des employés civils du centre, celui qui réalisait des photos des immigrants, pénétrant dans leur intimité, mais créant ainsi la mémoire de ces lieux et de ces hommes.

Enfin il y a ces immigrants, ceux qui laissent tout derrière eux, y compris leur langue et leur nationalité, pour rejoindre cette terre d'espoir. J'ai été émue et emportée par les descriptions faites des arrivées, du tri effectué sur critères de santé ou critères de conviction. Tri clinique, qui ne laissait aucune chance à ceux qui étaient rejetés, voyant se fermer devant eux l'avenir, eux qui avaient tout abandonné en partant. A travers les histoires de Nella et de son frère, de Giòrgy Kovàcs et de sa femme Esther, de Francesco Lazzarini, on découvre le départ, la douleur de la séparation, l'attente de la décision des autorités pour devenir enfin américain, le rejet, brutal renvoi à la mer de ceux qui n'ont plus rien: "J'ai frappé à la Porte d'Or et elle ne s'est pas ouverte. Représentais-je une si lourde menace pour la grande Amérique?".

A Ellis Island, le temps se fige, en attendant qu'enfin, la porte s'ouvre: "A Ellis Island, le temps n'existe plus, l'attente en est la seule mesure. Vous qui entrez ici, sachez que toutes montres et horloges y ont été fracassées, vous resterez ici quelques heures ou de longues semaines, mais vous l'ignorez, vous ne découvrirez la durée de votre passage qu'heure après heure et jour après jour."

Tout est si réel dans ce roman, parce qu'en plus de décrire ce qui fût la porte d'entrée de l'Amérique pendant des années, Gaëlle Josse nous le rend réel à travers des personnages de chair et de sang, avec leurs souffrances, leurs erreurs, leurs joies et leurs choix, tout ce qui fait qu'on se laisse emporter dans l'histoire comme si on y était!

Encore une véritable pépite, qui nous met face aux choix des hommes sur un fond historique magnifiquement rendu, un très bon moment de lecture!

samedi 18 avril 2015

Lecture: La cote 400

Je cherchais à la bibliothèque "La condition pavillonnaire" du même auteur, recommandé dans les pépites 2014-2015 compilées par Galéa, ils ne l'avaient pas, mais j'ai immédiatement été séduite par la quatrième de couverture:


Elle rêve d'être professeur, mais échoue au certificat et se fait bibliothécaire. Esseulée, soumise aux lois de la classification de Dewey et à l'ordre le plus strict, elle cache ses angoisses dans un métier discret. Les années passent, elle renonce aux hommes, mais un jour un beau chercheur apparaît et la voilà qui remet ses bijoux. Bienvenue dans les névroses d'une femme invisible. Bienvenue à la bibliothèque municipale, temple du savoir où se croisent étudiants, chômeurs, retraités, flâneurs, chacun dans son univers. Mais un jour ce bel ordre finit par se fissurer.


Comment résister à un roman qui parle de bibliothèque, qui parle de livres, moi qui depuis que je suis entrée au collège ait fait des différentes bibliothèques, scolaires puis municipales, mon lieu de sortie de prédilection.

Ce récit est très court, 64 pages seulement, mais 64 pages intenses d'un monologue sans retour à la ligne, sans paragraphe, sans respiration, 64 pages qu'on dévore sans s'arrêter, pendus aux lèvres de la narratrice.
Cette narratrice, c'est une bibliothécaire, responsable du rayon "Géographie", dans une ville de province où elle a atterri 25 ans plus tôt pour suivre l'homme dont elle était amoureuse, qui l'a abandonnée, et comble de l'horreur, pour une ingénieure: "J'avais tellement honte: avoir pu aimer un homme capable de trouver du charme à une bureaucrate nucléaire,  quelle barbarie"

Cette femme qui a raté le CAPES et qui est devenue "ouvrière spécialisée, rangeuse de livres, petite main, bip-bip...... ", elle a un avis sur tout: l'organisation de la bibliothèque, la hiérarchie des bibliothécaires, les lecteurs, l'histoire.... et elle nous en fait profiter en même temps qu'à un lecteur qui a passé la nuit à la bibliothèque, et qu'elle a retrouvé endormi dans ses rayons.
Comment ne pas trouver attachante une femme dont l'auteur préféré est Maupassant, une femme pour qui les livres sont tout, une femme qui dit "quand je lis, le peux tout oublier, des fois je n'entends même pas le téléphone", "quand je lis, je ne suis plus seule". Et pourtant, seule, elle l'est, c'est une vieille fille pleine de tocs et de préjugés, qui considère que "c'était bien la peine d'acheter des romans ouzbeks mal traduits et inempruntables si on n'avait pas d'abord tous les livres et les romans de Beauvoir et Maupassant", qui est incapable de sympathiser avec ses collègues qu'elle regarde de haut.

Elle nous ferait presque de la peine, on l'imagine tellement bien, souris grise dans le sous-sol de la bibliothèque, rayon géographie, là où ne se promène pas pas hasard, celle qu'on ne voit pas, la femme invisible qui enregistre les emprunts, et surveille que l'ordre règne dans son domaine, celle qui voudrait bien qu'un de ses visiteurs réguliers, qui lui semble à la hauteur de ses attentes intellectuelles, la regarde!

Ce monologue est captivant, on est totalement plongés dans ce sous-sol, qui nous évoque forcément des souvenirs, parce qu'un jour où l'autre on a tous erré dans ces rayons à la recherche de matière pour un exposé ou un devoir.... Notre bibliothécaire passe du coq-à-l'âne sans jamais nous perdre, déversant dans une oreille disponible sa vision de sa vie, du monde et des autres, au travers du prisme de sa classification de Dewey, et ça a été pour moi une excellente lecture, un vrai coup de coeur.

Alors si vous ne l'avez pas encore découvert, n'hésitez pas à vous mettre à l'écoute de cette femme!

vendredi 17 avril 2015

Lecture: Les éclaireurs


Après "Les falsificateurs", je me suis précipitée sur le deuxième tome des aventures de Sliv, pressée d'en savoir plus sur le CFR et sa finalité.

Résumé: C'est l'histoire de Sliv, agent spécial du CFR (Consortium de Falsification du Réel), qui veut comprendre pour quoi et pour qui il travaille. C'est l'histoire d'une organisation secrète internationale, qui tente d'influer sur l'histoire des hommes, et dont l'existence est brutalement remise en cause un certain 11 septembre 2001. C'est l'histoire de Youssef, tiraillé entre sa foi et son amitié; de Maga, jeune femme moderne que son mariage précipite dans une famille d'intégristes; de Lena, dont la rivalité professionnelle avec Sliv cache peut-être des sentiments d'une autre nature. C'est l'histoire d'une grande nation, les Etats-Unis, qui trahit ses valeurs quand le monde a le plus besoin d'elle. C'est, d'une certaine façon, l'histoire du siècle qui vient.

Ce deuxième volet se déroule juste après les attentats du 11 Septembre, et se concentre sur la montée du terrorisme, et l'éventuelle entrée en guerre des Etats-Unis contre l'Irak.
Contrairement au premier tome, où on découvrait les activités du CFR à travers les multiples dossiers et sujets traités par les différents protagonistes, "Les éclaireurs" est centré sur le rôle du CFR dans la montée du terrorisme, et sa possible implication dans les attentats du 11 Septembre, puis sur son rôle dans le déclenchement de la guerre. 

Ces évènements sont finalement très proches de nous, beaucoup d'entre nous sont capables de dire ce qu'ils faisaient le jour où les Tours Jumelles se sont effondrées, beaucoup d'entre nous ont vu, comme notre héros, les images terrifiantes tourner en boucle à la télévision. Cela rend le roman parfois à la limite du documentaire, d'autant plus que "dans la vraie vie", la question s'est véritablement posée de la manipulation des informations, de la présence non vérifiée de ces armes en Irak qui ont servi de prétexte à l'entrée en guerre. C'est le seul point qui m'a un peu "gênée", cette focalisation sur les preuves (ou non preuves), avec parfois presque trop de détails (comme les diamètres des tubes si chers à mon amie Galéa ;-)).


Ce deuxième tome est moins tourné sur la création de dossiers isolés, de la naissance de l'idée à la mise en place des falsifications nécessaires, mais s'attache à travers les actions du CFR à une réflexion plus générale sur le fonctionnement du monde, le besoin d'affrontement: "Il y avait toujours "nous" et "les autres"et l'on ne pouvait se passer de ces derniers sous peine d'oublier qui on était." C'est cette logique qui a conduit le CFR à identifier les "autres" qui remplaceraient le bloc communiste dans l'affrontement Est/Ouest, et à essayer de prévenir l'Occident de la menace potentielle. Mais on se demande si la fin justifie les moyens, on découvre que les membres du Comex du CFR ne sont "que" des hommes, faillibles eux aussi, qui peuvent se tromper, et doivent assumer les conséquences de leurs choix.
Bello y fait aussi une analyse du fonctionnement du système politique américain, analyse plutôt critique, tant des hommes politiques eux-mêmes qui n'ont pas hésité à manipuler le peuple, que le peuple qui s'est laissé manipuler, au point de laisser ceux qui les gouverne déclarer une guerre sans preuve concrète. Cette analyse fait écho à toutes les interrogations qui ont fait suite à cette entrée en guerre, à ces armes qui n'ont jamais été trouvées, et malgré ce que pense Sliv, on peut se demander si nous (peuple français) aurions su nous opposer à nos dirigeants si nous avions été à la place des Américains.

Et puis dans ce livre, il y a une très fine analyse des sentiments humains: l'amitié d'abord, à travers la relation de Sliv et Youssef, cette relation qui souffre de leurs différences, mais résiste aux épreuves, au point que Youssef confie son destin à Sliv sans douter. J'aime cette amitié qui ose dire, qui ose l'affrontement et la vérité, mais qui permet de passer outre ce qui sépare. L'amour ensuite, celui de Magda et Youssef, cet amour qui pousse Magda à tenter de se fondre dans la famille de Youssef malgré leur intolérance, et cet amour qui pousse Youssef à prendre ses distances et à assumer ce qu'il est "contre" sa famille.
On a ensuite l'ambition, celle de Sliv bien sûr, qui le pousse à vouloir aller toujours plus haut, toujours plus vite, sans penser aux conséquences de ses actes. Mais aussi la "non-ambition" de Gunnar, celle qui peut sembler surprenante, mais qui est pourtant aussi tout à fait légitime.
Enfin, il y a la jalousie. Celle qui nous pousse à accomplir de mauvaises actions, pour prouver qu'on existe, qu'on est meilleur que les autres. Celle qui est si condamnable, et pourtant si humaine.

Les personnages de Bello sont magnifiquement humains: pas de manichéisme dans les descriptions, tous portent en eux une part de bon et une part trouble, comme nous ils sont tiraillés par la vie, par ce qu'ils veulent, leurs désirs, leurs ambitions, leur entourage..... On ne peut pas vraiment classer les bons d'un côté et les mauvais de l'autre, on comprend, on excuse, on accuse....ces personnages sont "réels" et attachants, et font la force de ce roman.

Bien sûr, le clou du roman est la révélation de la finalité du CFR, mais ça, je vous laisse le plaisir de la surprise..... Je peux juste dire que j'ai été surprise, mais que finalement c'est exactement ce qu'il fallait au roman.....encore une piste de réflexion, mais celle là je ne la développerai pas pour éviter de gâcher la lecture!

En résumé, encore un excellent moment de lecture, dans la lignée du premier, j'ai hâte de découvrir le 3ème!

dimanche 12 avril 2015

Lecture: Le roi transparent


C'est grâce à Miss Léo que j'ai découvert ce livre, que j'ai eu la grande chance de gagner au concours des 3 ans de son blog!

Résumé: Léola revêt l'armure d'un chevalier pour échapper à une mort certaine et bouleverse dans un même mouvement le cours de son destin. Autrefois paysanne, elle est désormais guerrière auprès de l'énigmatique Nynève. des champs de bataille à la cour d'Aliénor d'Aquitaine, Léola s'interroge: au coeur d'un Moyen Age en plein chaos, y a-t-il encore une place pour le rêve et l'amour?

Ce roman est passionnant et très dense. Même si l'auteur, qui le reconnaît, a pris quelques libertés avec la chronologie, on se retrouve plongés dans le XIIème siècle, à la cour d'Aliénor d'Aquitaine, dans les châteaux de ces nobles qui s'affrontent pour garder le pouvoir, dans les villes où monte le pouvoir du peuple, dans le pays cathare envahi par l'Inquisition....Peut-être que les incohérences temporelles pourraient gêner un lecteur averti, mais comme je ne m'y connais pas assez, je n'ai eu aucun problème à m'immerger dans le roman. Et puis en plus des faits historiques, on retrouve les contes et légendes qui m'ont toujours fait rêver, en particulier Merlin et Viviane, donnant un côté fantastique à ce roman, nous laissant parfois nous demander ce qui est réel ou non.

L'Histoire sert de toile de fond au récit, permet de l'ancrer dans le temps et l'espace, et de donner de la réalité à l'histoire de Léola.

Car si l'auteur nous décrit l'évolution de la société de l'époque, les grands bouleversements qui agitent cette période de l'Histoire, c'est du point de  vue de Léola, l'héroïne de cette fresque. Plus que l'évolution de la société, c'est l'évolution de Léola qui est le fil directeur du roman: véritable roman d'apprentissage, il nous permet d'accompagner cette jeune fille dont le destin bascule le jour où son père, son frère et son promis sont emmenés de force pour faire la guerre au côté de leur seigneur.

Commence alors pour Léola une longue errance, une longue quête, d'abord à la recherche de Jacques, son amour, mais finalement une quête vers elle même. De paysanne, elle devient guerrière pour survivre, devant apprendre à apprivoiser ses forces et ses faiblesses pour vaincre ses ennemis. Elle doit aussi apprendre à cacher sa féminité pour survivre, car son usurpation d'identité pourrait la conduire à la mort. Pourtant, sous son armure, elle reste une femme, avec ses désirs, ce qui l'oblige à une double personnalité. Mais elle finira par accepter cette dualité, le jour où elle trouvera l'homme qui l'accepte avec ses cicatrices et son épée, telle qu'elle est.
Léola acquiert la maîtrise des armes, mais aussi du savoir, et avec elle on découvre l'alchimie, la philosophie, l'amour courtois. Avec elle on réfléchit à la montée de l'intolérance incarnée par l'Inquisition, à la doctrine des cathares, qui seront massacrés au nom de l'Eglise. Et même si elle n'adhère pas à cette doctrine, elle prendra une dernière fois les armes pour les défendre, sans jamais les abandonner.

J'ai énormément aimé Léola, peut-être parce qu'elle m'a rappelé le parcours qu'il a fallu que je fasse pour m'accepter en tant que femme dans un métier d'hommes, pour accepter que ma féminité n'est pas un frein mais un atout qu'il faut savoir maîtriser. Et puis j'ai admiré son parcours, cette ténacité qui fait qu'elle ne renonce pas, qu'elle ne repart pas en arrière, même le jour où elle apprend que ceux qui lui ont été arrachés sont rentrés, elle choisit d'aller de l'avant, pour son accomplissement.

Mais Léola n'est pas seule, et la galerie de personnages hauts en couleur qui l'entourent est indispensable à la réussite du roman: Nynève, le fée du savoir, qui accompagne Léola jusqu'au bout, son Maître d'armes et Guy, le géant resté un enfant, Gaston l'alchimiste, Dhuoda la Dame Blanche, qui bascule dans la folie, mais enseignera à Léola l'art d'être femme, Violante la naine, Léon le forgeron qui lui fera connaître l'amour, mais aussi les religieuses qui les accueillent et permettent à Léola d'approfondir son savoir.

Et puis pour la férue de fantastique que je suis, il y a la légende du Roi transparent, celle qu'il ne faut pas évoquer, celle qui donne à ce récit une coloration irréelle, qui le sort définitivement du roman historique.

Au final, un très bon moment de lecture, un roman passionnant, et un auteur que j'ai été ravie de découvrir!
Un très grand merci à Miss Léo pour cette belle découverte!

mardi 7 avril 2015

Lecture: Charlotte


Ce roman m'a été offert pour mon anniversaire. Ca tombait bien, je ne l'avais pas lu, et j'avais envie de le lire: j'avais beaucoup aimé "La délicatesse" et "Les coeurs autonomes", j'étais donc bien disposée envers l'auteur, et jusqu'à présent je n'ai jamais été déçue par les Goncourt des lycéens.

Résumé: Ce roman retrace la vie de Charlotte Salomon, artiste peintre morte à vingt-six ans alors qu'elle était enceinte. Après une enfance à Berlin marquée par une tragédie familiale, Charlotte est exclue progressivement par les nazis de toutes les sphères de la société allemande. Elle vit une passion amoureuse fondatrice, avant de devoir tout quitter pour se réfugier en France. Exilée, elle entreprend la composition d'une œuvre picturale autobiographique d'une modernité fascinante. Se sachant en danger, elle confie ses dessins à son médecin en lui disant : «C'est toute ma vie.» Portrait saisissant d'une femme exceptionnelle, évocation d'un destin tragique, Charlotte est aussi le récit d'une quête. Celle d'un écrivain hanté par une artiste, et qui part à sa recherche.

J'avais entendu des avis négatifs sur l'écriture de ce roman, en vers libres, mais j'ai trouvé que ce style collait bien avec l'histoire et la personnalité de Charlotte. Car cette économie de mots et de phrases fait pour moi écho à la solitude et au silence de Charlotte. Je ne connaissais pas cette artiste, je ne sais pas ce qui dans ce livre est romancé, mais j'ai été emportée dans l'histoire.

J'ai été touchée par cette enfant marquée dès le départ par le malheur et la tragédie, qui s'acharnent sur sa famille maternelle de génération en génération. Porteuse du prénom de sa tante morte jeune, soeur adorée de sa mère, "Charlotte comprend tôt que les morts font partie de la vie". Mais pourtant dès le début, la vérité est faussée, on lui cache la véritable cause du décès de cette Charlotte qui a laissé un si grand vide chez sa mère et sa grand-mère, comme on lui cachera ensuite pendant des années la cause de la mort de sa mère.
Et ce mensonge va ronger sa vie, conditionner son comportement:
"Elle comprend l'étrangeté qui l'habite depuis toujours.
Cette peur démesurée de l'abandon.
La certitude d'être rejetée par tous".
Comment se construire quand ceux qui nous aiment faussent notre vision de la vie?

A ce malheur intrinsèque à la famille s'ajoute la tragédie qui se joue en Allemagne, l'accession des nazis au pouvoir, l'exclusion des juifs de la vie étudiante, culturelle, professionnelle... Charlotte voit son père arrêté et interné dans un camp, elle doit arrêter ses études, avant de se voir refuser le prix mérité aux Beaux-Arts à cause de sa religion, et elle doit finalement laisser ses parents et l'homme qu'elle aime pour partir se mettre à l'abri dans le sud de la France. Mais loin de trouver la paix et la sécurité auprès de ses grands-parents, elle bascule à nouveau dans l'horreur du drame familial.

Et quand enfin on se dit qu'elle a trouvé le bonheur, c'est l'histoire qui la rattrape à nouveau, pour de bon cette fois-ci.

Jusqu'au bout on voudrait qu'enfin la malédiction qui pèse sur elle soit levée, que le sort arrête de s'acharner sur elle, et pourtant c'est cette vie qui a fait d'elle l'artiste qu'elle est, car la peinture a été son moyen de survivre, de remplacer les mots et le vide.

Cette lecture n'est pas loin du coup de coeur, j'ai dévoré le roman, j'ai été portée par le style, emportée dans l'histoire, ça a été un très beau moment, que je recommande sans hésiter!

vendredi 3 avril 2015

Lecture: Réparer les vivants


Encore un livre que j'ai emprunté sur les conseils de Galéa, son article m'avait vraiment donné envie de découvrir ce roman. Maylis de Kerangal, pourtant, je n'étais pas sereine, un de mes collègues (qui n'est pas rebuté par les lectures arides) avait abandonné "Naissance d'un pont" au bout de 12 pages. Sachant que les ponts, c'est notre domaine, c'était plutôt mauvais signe....

Résumé:
"Le coeur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d'autres provinces, ils filaient vers d'autres corps". Réparer les vivants est le roman d'une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d'accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le coeur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l'amour.

Le sujet est difficile, l'auteur nous parle de don d'organes, à partir d'un cas fictif, et pourtant si réel. Premier choc du roman, l'accident qui plonge Simon dans le coma, contraste saisissant avec ce jeune si vivant parti affronter les vagues aux aurores, ce jeune prêt à tout pour prendre la meilleure vague. On bascule d'un coup dans l'univers de la réanimation, et dans le processus du don, vu par les différents acteurs de cet enchainement de faits et d'actions qui conduisent de la mort à la vie.

J'ai eu beaucoup de mal avec le style de Maylis de Kerangal: phrases très longues, accumulation d'énumérations et digressions usant de virgules, tirets, comparaisons, redondance.....qui, pour une lectrice comme moi qui a une fâcheuse tendance à sauter des mots, rend la lecture très ardue et peu fluide. C'est d'ailleurs ce qui a bloqué mon collègue, les phrases d'une page dont on ne voit pas la fin, au lieu d'un style plus "concis" et plus accessible.
Cela dit, dans le cas qui nous intéresse, je pense que ce style permet de rendre supportable le fond de l'histoire, car comment ne pas se projeter dans ce roman qui peut toucher un large public: on peut s'identifier à Simon ou ses amis, prêts à se brûler les ailes pour vivre leur passion, à Juliette, le premier amour, à Marianne et Sean, les parents brisés, aux médecins et soignants qui accompagnent toutes les étapes, ou enfin à ceux qui reçoivent, à leur famille....

Et en s'identifiant, on est poussé à réfléchir. Comment réagirions nous à la place de Marianne et Sean qui doivent décider si leur fils est ou non donneur? Comment accepter la mort de celui qui ne devrait pas partir avant nous, alors qu'il semble juste dormir? Autant pour moi la question ne se pose pas, je suis d'accord pour donner (il faudrait d'ailleurs que je voie quelles démarches faire pour être sure que personne ne se pose la question le cas échéant), autant je ne sais pas ce que je ferais si ça devait arriver à mes enfants ou mon mari (et là je croise les doigts pour ne jamais avoir à me poser la question).
Chaque personnage tour à tour est important, permettant de s'immerger dans ce processus complexe, permettant d'appréhender les enjeux de chacun, les rôles de chacun, et de détailler pas à pas le déroulement de ce transfert qui permet de "réparer les vivants". Et l'auteur les rend profondément humains, les ancrant dans une histoire, une réalité, ne se contentant pas de la place qu'ils occupent dans ce drame, mais les ramenant à ce qu'on connaît, une infirmière malheureuse en amour, un médecin bon élève, une "fille de", une femme comme les autres qui mange mal et ne veut pas aller chez sa fille.....Chacun a un vécu en dehors de ce don, qui rend le roman profondément réel.

Au final, une lecture intéressante, qui m'a fait réfléchir, et qui me donne envie d'aller voir si le style de l'auteur peut être apprivoisé, ou si cela restera définitivement pour moi un frein à sa lecture (parce que j'ai quand même besoin que lire reste un plaisir accessible, même quand il est 23h et que je suis crevée).