Résumé:"Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d'entendre ma mère dire Qu'est-ce qui fait le débile là ? Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J'étais déjà loin, je n'appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs et j'ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins de terre, l'odeur de colza, très forte à ce moment de l'année. Toute la nuit fut consacrée à l'élaboration de ma nouvelle vie loin d'ici". En vérité, l'insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n'a été que seconde. Car avant de m'insurger contre le monde de mon enfance, c'est le monde de mon enfance qui s'est insurgé contre moi. Très vite j'ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût. Je n'ai pas eu d'autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.
Ce livre, je l'ai lu vite, il se lit bien, c'est sûr, même si j'ai eu un peu de mal avec le style alternant le récit d'Eddy et les citations de son entourage, avec le mélange du "bon français littéraire", et du "français parlé du Nord".
Mais il faut l'avouer, ce livre qui n'est pas un roman, malgré ce qui est affiché sur la couverture, me laisse profondément perplexe. Je sais bien que la vie d'un auteur est une source d'inspiration, son vécu imprègne souvent ses mots, mais dans ce cas, on est loin de simples références, c'est sa propre enfance que nous décrit l'auteur. Ce qui me gêne, parce que quand j'achète un roman, c'est une fiction que j'attends (oui, je sais, je n'avais qu'à me renseigner), d'ailleurs, je ne lis pas d'auto-biographies, je n'aime pas. Autant vous dire que j'ai détesté le thème de français de ma première année de prépa, qui était "L'écriture de soi", avec au programme Yourcenar, Rousseau et Sartre!
Pour en revenir à Eddy Bellegueule, je n'ai pas aimé ce règlement de compte public. C'est peut-être facile à dire, mais pour moi on ne lave pas son linge sale en famille (en tout cas dans mon milieu de "bourges" ça ne se fait pas), il est dommage qu'il n'est pas appliqué cette règle du milieu qu'il cherche visiblement tant à intégrer. D'autant que sa famille, il semble à la fois la détester et pourtant éprouver une forme d'attachement envers eux, plus particulièrement envers sa mère, mais aussi envers son père malgré tout. Certains passages laissent entrevoir leur amour pour lui, leur fierté de ce fils si intelligent. Alors comment peut-il leur faire ça? Parce que l'image qu'il dresse de sa famille, de son entourage, des gens de son village, pour moi ça évoque les banderoles "anti-chtis" qui avaient été affichées pendant un match de foot par des supporters complètement abrutis. Je ne nie pas son vécu, mais il ne relate que ce qui peut donner d'eux une mauvaise image, une image de gens sans éducation, sans avenir, sans tolérance.....
D'autre part, il semble partir du postulat que c'est parce qu'il vient d'un milieu pauvre et inculte qu'il est rejeté pour son homosexualité, et que chez les gens éduqués, les "bourgeois" dont il va rejoindre les rangs, tout se serait bien passé. Alors peut-être qu'effectivement il vient d'un milieu où les hommes "maniérés" sont mal jugés, mais je viens d'un milieu où l'homosexualité n'est pas toujours bien acceptée. J'ai des amis qui ont longtemps caché leurs préférences parce que ce n'était pas acceptable, j'ai des amis qui préfèrent se taire que de risquer des soucis professionnels (à tort ou à raison d'ailleurs), et pourtant nous sommes dans des milieux éduqués..... Cette assimilation pauvreté/homophobie me gêne beaucoup, là encore on retrouve les généralisations et les stigmatisations qui font tant souffrir. Finalement, Eddy Bellegueule fait comme ceux à qui il le reproche, il généralise.
Au final, je peux comprendre qu'Edouard Louis ait souffert de son enfance, de son milieu d'origine, de son homosexualité mal acceptée, mais cela ne me fait pas accepter pour autant ce qu'il a écrit, parce que ça ressemble un peu pour moi à la vengeance d'un garçon aigri, dont je me demande d'ailleurs d'après la fin du "roman" si il a vraiment trouvé son épanouissement dans l'intégration d'un milieu plus éduqué que le sien, plus "raffiné".
Je ne peux pas dire que ce livre soit une mauvaise lecture, il est bien écrit et m'a fait réfléchir, et c'est déjà important, mais par contre c'est un récit auquel je n'ai pas adhéré, qui me laisse un goût amer, parce que la souffrance qu'il a vécu, je pense qu'il l'a largement rendue à ceux qu'il rend responsables, et je crois que pour moi l'écriture, même si c'est une catharsis pour l'auteur, ne doit pas être un moyen de blesser les autres. Finalement, beaucoup d'autobiographies sont jugées pour le mal qu'elles font aux personnes qui composent le récit, mais sous prétexte de roman, peut-on tomber dans les mêmes travers?
Cette lecture remonte pour moi, mais le malaise que tu soulèves reste encore des mois plus tard. Perplexité face à cette lapidation, et la certitude pourtant que de l'intelligence d'Eddy nait ce rejet qui tient plus de la honte que du désamour. Je suis prête à parier qu'Eddy, dans qq années, regrettera d'avoir été si dur envers les siens et brandira le générique "roman" comme bouclier contre ses état d'âme !
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec toi, il confond son milieu et l'homophobie, et je ne sais pas ce qu'il a voulu faire avec la dernière phrase avec Tristan. Tu sais c'est un livre qui a beaucoup plu aux bourgeois et notables parisiens, on a cité Bourdieu et crié au génie (parce que ça renvoyait une image exotique du prolo picard), et qui par contre a été détesté par la grande majorité de ceux venant qu'un milieu modeste et de province.
RépondreSupprimerJe suis d'accord avec tout ce que tu dis, même si je pense quand même que ça a été un livre important de 2014, le vrai problème qui demeure pour moi, c'est l'école: la grande absente de ce règlement de comptes, et c'est gênant voire malhonnête pour un normalien.
L'association prolétariat/homophobie est malheureuse. Cependant, il y a un milieu bourgeois (parisien) qui accepte l'homosexualité. Je pense qu'il s'est senti à l'aise très rapidement dans ce milieu.
RépondreSupprimerPour ma part, j'ai été élevée dans un milieu bourgeois de province. Je garde un mauvais souvenir de cette vie étriquée au milieu de personnes souvent intolérantes et fermées. A mon arrivée à Paris pour mes études, j'ai été frappée par la différence. Les personnes sont plus ouvertes. Probablement parce que la culture (diverse et variée) y est omniprésente. Un héritage du siècle des Lumières probablement...
merci Félicie pour ce bel article!
Clarisse